VIEW WEB MEDIA: EDITORIAL DU MOIS DE JUILLET 2022
Par Jean Jacques NOEL JEAN1
L’actualité
pénale mondiale est très mouvementée : Aux Etats-Unis on a encore les remous
sur les fusillades du 24 mai et du 04 juillet derniers. Fin juin, la France
vient de voir la fin du procès pénal le plus long de toute son histoire judiciaire
(9 mois de procès après 6 années d’instruction) sur l’attentat terroriste du 13
novembre 2015. En Norvège la piste d'un acte de terrorisme islamiste est
privilégiée après la fusillade du 24 juin 2022 faisant deux morts et de
nombreux blessés.
Haïti n’est pas
à l’abri de ce mouvement. Certains parlent même d’effets de contagion. Alors
que le policier Elgo Saint-Juste (décédé le 26 juin sans avoir perçu même son
premier salaire après 7 mois depuis sa graduation à la PNH) a été criblé de balles
par des bandits armés le 08 juin 2022, on pouvait regarder sur les réseaux
sociaux la présentation de 36 passagers et 2 chauffeurs qui ont été pris en
otage par le groupe armé 5 Segond dirigé par Izo le 10 juin pour démontrer sa
force. Cette démonstration précède l’occupation par ce groupe armé, sans (trop
de) résistance, du Palais de justice qui loge le Tribunal de première instance
de la Capitale, le Barreau de Port-au-Prince et le Parquet, pourchassant ainsi
les autorités judiciaire, administrative et policière dont le Procureur de la
République, le chef de poursuite par excellence ! Comment qualifier ces actes ?
Du terrorisme ? Du banditisme ordinaire ? De l'insécurité, bref.
Cité Soleil
reprend l’actualité ces derniers jours ; G-9 et G-Pèp s’affrontent. Les
habitants se déplacent. La criminalité en Haïti, tout le monde en parle. Les opinions
se divergent dans le débat public. Terrorisme d’Etat. Terrorisme radical.
Simple banditisme. Délinquance généralisée. Gouvernement des gangs. On en est
où ? La confusion est encore plus grande lorsque la demande de blocage des
comptes Twitter, Facebook, Instagram et Youtube de Jimmy Chérizier dit Barbecue
et deux de ses complices par le Commissaire du Gouvernement de la juridiction
de Port-au-Prince en date du 29 octobre 2021, les reprochant d’actes de terrorisme,
d’association malfaiteur entre autres, était restée sans effet. Tandis que, ces
géants médias et Tiktok, vont annoncer la fermeture de plusieurs comptes de chefs
de gangs haïtiens dont ceux d’Izo de 5 Segond et Jimmy Chérizier dit Barbecue
de G-9, à la suite d’un papier du Washington Post du 11 juin et parce que « ces
chefs de gangs utilisent ces médias sociaux pour faire l’apologie de la violence
» sans reprendre les motif et allégation des autorités haïtiennes.
En vue de
fournir quelques éléments d’explication et de compréhension à cette triste
situation où des bandits s’évertuent en agent de circulation, on estime
important de camper d’abord les termes fondamentaux du débat en scrutant la
notion du terrorisme elle-même et le processus qu’elle sous-tend (la
radicalisation). Ensuite, on procédera à une interrogation des actes commis par
ces groupes armés pour en faire ressortir, en fin, les dessous de cette
criminalité par la mise en évidence de la difficulté d’une catégorisation
tranchante en raison du contexte de perpétration de ces actes et les lacunes au
niveau des dispositions légales.
Pour une élucidation des termes du débat
: le terrorisme et la radicalisation
Il est très
difficile de trouver une définition unanime du terrorisme. Retenons ici
quelques-unes qui nous semblent être plutôt bien élaborées. Pour Lafree et
Ackerman2, le terrorisme
serait la menace ou l’usage illégal d’une force dirigée contre des cibles
civiles par des acteurs non étatiques dans la poursuite d’un but politique à
travers la peur, la coercition ou l’intimidation. Chez Sageman, le terrorisme peut
être compris comme la violence ou la menace de violence politique dans ses buts
et ses motivations, conçu pour avoir des répercussions psychologiques profondes
au-delà de la victime immédiate ou cible3.
Elle est menée soit par une organisation avec une chaîne de commandement
identifiable ou structure cellulaire conspiratrice ou par des individus ou un
petit groupe d'individus directement influencés, motivés, inspirés ou
radicalisés.
La radicalisation
Aucun individu
ne passe d’un matin à l’autre de citoyen ordinaire à un radicalisé. La radicalisation est à comprendre comme «
l’adoption progressive et évolutive
d’une pensée rigide, vérité absolue et non
négociable, dont la logique structure la vision du monde des acteurs, qui usent pour la faire entendre de
répertoires d’action violents »4. C’est à la lumière de ce point de vue
que l’on pourrait étudier le caractère
radical des groupes armés en Haïti dont G-9 et 5 Segond qui sont retenus dans ce présent article pour les besoins de notre démonstration. Cela pourrait être n'importe
quel autre groupe armé.
La
radicalisation implique l’indignation des individus. Le groupe terroriste parce
qu’indigné, agit dans un cadre d’injustice, il se fait passer pour une victime. Ensuite vient le mobile idéologique.
En réalité ; si G-9 ne se réclame
d’aucune idéologie religieuse, sa base idéologique
nous semble être à rechercher dans son slogan : en famille et alliés, manyen youn
manyen tout, sorte de catalyseur pour dire aux bandits qu’en fédération, ils sont intouchables.
La motivation
guerrière des acteurs serait aussi étroitement dépendante d’une quête d’estime de soi, de leur désir de reconnaissance qui après sera
maintenue par la rigidité du groupe, on a
l’exemple de trayi la, mouri la nan 5 Segond. Cet élément va de pair avec l’ascension sociale et financière
comme élément favorisant le maintien
dans la radicalisation. Par ces groupes armés, ces « chefs » deviennent populaires, invitent la
presse pour couvrir leur « événement
», organisent « des spectacles » avec des grands artistes, parlent dans les radios et très suivis sur les réseaux sociaux
sans oublier leur rapport avec
l’élite politique et économique. D’où la
possibilité pour eux, de réaliser un rêve personnel alors qu’avant l’entame de la carrière, ils étaient
délaissés et privés de tout. Les vidéos
avec de l’argent qu’on envoie dans l’air, les habits de luxe, des nanas (femmes) qu’ils mettent en
ligne suffisent pour comprendre cette
réalisation.
Ce schéma de
radicalisation peut servir de tremplin pour comprendre l’augmentation en nombre des groupes armés en Haïti ; en juillet
2021 on estime à 300 000 le nombre
d’activistes dans les gangs et à 500 000
le nombre d’armes en circulation illégalement sur le territoire5.
E s’il faut parler des faits
Les gangs sont
au nombre de 95 dans le pays et logés surtout à la capitale Haïtienne, selon les rapports de l’ONU (2019, 2020)6. Ils orchestrent massacres, fusillade, assassinat, extorsion, raps (kidnapping), prise d’otage sur la
population civile particulièrement sur
les quatre (4) dernières années. L’ex député de l’Assemblée Nationale Haïtienne Jerry Tardieu, dans une interview donnée à la
RFI pour le journal Amériques Haïti7
en novembre 2021 a bien souligné qu’Haïti
« a basculé de la criminalité régulière à une situation de terrorisme intérieur ».
Les actions
menées par ces groupes armés ne sont pas les moindres. Il s’agit de tueries de masses. Par
exemple, pour le massacre de La Saline orchestré
par des individus armés les 13 et 14 novembre 2018, le bilan non exhaustif de l’ONU (2019) fait
état de 26 morts, deux viols collectifs,
3 blessés et 12 disparus. Dans d’autres événements comme le massacre de Bel air ou celui de Martissant, outres les cas d’exécution volontaire, des
populations ont dû laisser leur zone pour
se réfugier ailleurs, parfois dans des stades ou centres sportifs, sur des places publiques, leurs résidences
étant détruites ou brulées.
Si ces actes symbolisent la terreur dans le plein sens du mot, il est toutefois difficile et c’est ce qui rend la tâche compliquée- de ne pas suspecter l’appui ou la complicité de l’Etat pour et dans leur perpétration. D’ailleurs, le G-9 (fédération de 9 groupes armés) aurait vu le jour sous la proposition de la Commission Nationale de Désarmement, de Démantèlement et de Réinsertion (CNDDR) qui avait voulu négocier avec un seul interlocuteur, selon les propos de l’un des commissaires (Rich, D.2021, déjà cité). De plus, Richard Duplan, délégué départemental (représentant de l’exécutif), étant à la Saline au lendemain du massacre de 2018, se serait alors adressé aux membres de gangs en leur disant : « Nou touye twòp moun, se pa misyon sa yo te bay nou » (Vous avez tué trop de personnes, ce n’était pas ça votre mission). La présence alléguée du Délégué et ces termes, suggèrent une possible implication de ces représentants de l’Etat dans les événements (p.10, rapport 2019), ce qui biaise toute possibilité d’un terrorisme autre qu’un terrorisme d’Etat. Dans le rapport de 2020, l’ONU a noté « bien qu’informée des attaques, la Police nationale d’Haïti n’est pas intervenue alors que Bel Air soit entouré de postes de police, pareil cas pour Lasaline. (Voir figure 1 et 2). Par-dessus tout, même la décision de révocation le 14 décembre 2018 de la Police Nationale d’Haïti (PNH) après son implication avérée dans des massacres de La Saline en novembre 2018 et de « Grand Ravine » en 2017 n’a pas été encore notifié au général en chef du G-9 au motif qu’il était prétendument introuvable, alors qu’en février 2019 Jimmy Cherizier a entretenu avec les enquêteurs de l’ONU, déclarant qu’il est toujours habité dans sa résidence habituelle à Delmas 6, Port-au-Prince et de s’occuper de la sécurité des quartiers de Delmas 2, 4 et 6. Il posséderait toujours son uniforme, son badge de la PNH, ainsi que son arme de service. Donc, on est arrivé à la difficulté pour catégoriser les actes criminels que subissent la population haïtienne, puisque pataugés entre actes d’une milice d’état et actes d’un groupe de gang rival qui lutterait pour le contrôle de territoire
La bande de 5 Segond
a aussi de nombreux faits dans son répertoire. Il s’agit principalement de l’affaire du 12 mars 2021 au cours de laquelle des policiers, lors d’une
opération (ratée), ont été tués tragiquement.
Jusqu’à date, aucune réponse « des forces légales » n’a été donnée, alors que comme pour les cas précités, les zones du bicentenaire et de village de Dieu,
sont situées entre des postes de polices
et d’unité (de terre et de mer), sans compter les nombreux bâtiments d’institutions régaliennes tel le ministère de la
défense, le parlement, l’électricité
d’Haïti. Pire, le char pris de force au terme
du massacre des policiers, a été récupéré pacifiquement et cordialement par les « autorités concernées » au prix de rançon,
alors que mêmes pour les restes où
les dépouilles des policiers, on n’a pas
pu avoir de funérailles et d’enterrement. S’il est vrai que la police ne relève pas d’un corps militaire, mais
elle ne doit pas être entendue comme
corps civil dans le sens de la définition du mot terrorisme. Il s’agit alors d’un état affaibli, de
connivence ou consentant, qui négocie
et paie les raids pour ses biens pris en otage ! Dans cette même rubrique, paraît la question du transport sur la route nationale numéro 2 ou son usage tout simplement.
Depuis le 04 juin 2021, seuls les
groupes armés (dont principalement la bande 5 Segond) décident de qui doit passer, transporter les marchandises et les passagers, Martissant leur étant
abandonné et livré. Ce, sous l’œil bienveillant
des autorités policières et politiques, alors que Haïti est une république indivisible selon l’article 1er de la
constitution.
Aucun élément n’a aussi caractérisé le gouvernement des gangs que lorsque la bande du village a pourchassé toutes les autorités judiciaire, administrative et policière du lieu où a été logé le Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, capitale du Pays. S’agit-il des attaques contre la population civile ? Quelle est la résistance de l’Etat ? Ce sont bien des questions, qui montrent à quel point, la question des groupes armés en Haïti actuellement est délicate.
Institution à genou, oui, mais que dit
la loi ?
Haïti est partie
à la Convention Interaméricaine contre le terrorisme, comme à la Convention Internationale pour la répression du
financement du terrorisme. Mais pour
une question d’opérationnalisation, l’article 4 de la Loi sanctionnant le Blanchiment de Capitaux et le
Financement du Terrorisme adoptée le
14 novembre 2013, le définit comme tout acte destiné à provoquer le décès ou des blessures corporelles graves à
un civil ou toute autre personne ne
prenant activement part à des hostilités
dans une situation de conflit armé, lorsque l’objet de cet acte, par sa nature ou son contexte, est d’intimider une
population ou de contraindre un
gouvernement ou une organisation internationale à commettre ou à s’abstenir de commettre un acte quelconque. À cette définition déjà vaste, on va retrouver
l’article 1er d’un décret présidentiel
du 26 novembre 2020 qui mélange tout concernant la définition de l’acte terroriste ; Le comportement passif des policiers, lors des mouvements de
protestation, est aussi considéré comme
un acte de terrorisme, le fait d’embarrasser la voie publique, en y déposant, en y laissant des
matériaux ou des choses quelconques, dans
le but d’empêcher ou de diminuer la liberté ou la sûreté du passage. De tels comportements pour lesquels l’article 2 du décret prévoit de 30 à 50 ans de réclusion
criminelle et de 2 à 200 millions de
gourdes d’amende, alors que jusque-là en Haïti l’occupation de voie publique (pays lock) restait le
principal moyen de protestation populaire
antigouvernemental.
Le code pénal
actuellement en vigueur en Haïti n’a pas trop de dispositions faisant référence au terrorisme compte tenu de son ancienneté. Le nouveau code pénal dont
on a reporté l’entrée en vigueur
initialement prévue pour le 24 juin 2022 non plus n’est pas assez clair pour catégoriser les actes criminels tels que décrits
dans ce travail.
Groupe de
combat, fronts armés ou mouvements dissous sont définis par l’article 679 comme tout groupement de personnes détenant ou ayant accès à des armes, doté d’une
organisation hiérarchisée et susceptible
de troubler l’ordre public. Le fait de participer à ce front armé est puni de 1 an à 2 ans d’emprisonnement
et d’une amende de 50, 000 gourdes à
100, 000 gourdes !
Et constitue un
attentat selon l’article 620, le fait de commettre un ou plusieurs actes de violence de nature à mettre en péril les institutions de la République, à
porter atteinte à l’intégrité du territoire
national. Ces dispositions coïncident avec l’article 647 qui définit le terrorisme et compliquent d’avantage la situation.
Somme toute, les
actes criminels et particulièrement la notion de terrorisme prennent de la place dans l’actualité internationale et nationale. En Haïti, les derniers
actes des groupes armés et le gel des
comptes Twitter, Tik Tok, Facebook et Instagram de certains bandits haïtiens dont Barbecue et Izo, agitent
le débat sur le label terroriste de leurs
actes. Il est aisé de d’expliquer la radicalité de ces groupes armés, comme sans base religieuse mais fondée
sur de valeurs d’équipe, de ralliement,
de familiarisation, contre un état « injuste ». Ainsi, ces groupes qui donnent un sentiment de toute puissance à leurs
membres, les offre une forte estime
et leur assure une ascension économique et
sociale jusqu’à une visibilité. Cependant, la catégorisation de ces bandes comme groupe terroriste radical
se révèle difficile en raison des
dessous de la criminalité qui se montre anonyme et généralisée. La difficulté
résulte du fait que les actes
revendiqués sont ciblés et à motifs économiques, lorsqu’ils ne sont pas dirigés contre des
institutions étatiques directement et en règlement de compte, ils sont dirigés contre des victimes
civiles précises. Il n’y a pas d’indifférence
de la victime comme dans les cas d’attentats ou de fusillades terroristes connus. De plus, on révèle l’implication d’agents étatiques dans la
perpétration ou la planification des actes
de terreur, ajoutée à la non-intervention des forces de l’ordre lors des agissements criminels. Dans les
dispositions légales internes, la notion
du terrorisme présente un caractère flou et politique, au point qu’il est plus facile qu’un Policier
qui reste passif dans le cadre d’une
manifestation populaire « portant atteinte à la voie publique » soit retenu comme terroriste qu’un
criminel qui perpétue fusillade, massacres
et tueries. On ne peut qu’émettre le vœu qu’avec le report de l’entrée en vigueur du nouveau code pénal, le législateur va pouvoir adopter des dispositions
pénales adaptées à la réalité haïtienne
et s’inscrivant dans un projet pour une société républicaine où l’Etat est à même d’exercer ses
fonctions régaliennes de base. Lesquelles
fonctions nécessitant une police forte, outillée, compétente. Un corps de force neutre dans son rapport avec la
justice et la politique.
1. Jean Jacques a
fait ses licences en Psychologie (FASCH) et en Droit (FDSE) à l’Université
d’Etat d’Haïti (UEH). Il fait actuellement un Master en Criminologie à
l’Université de Strasbourg.
2. Lafree, G. et Ackerman G. (2009).
The Empirical Study of Terrorism: Social and Legal Research. Annual Review of
Law and Social Science, Vol. 5: pages 347-374
3. Sageman, M. (2004). Understanding
Terror Networks. Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2004. Cité par
Hecker, M. (2008). Lectures critiques. Institut français des relations
internationales, pages 912 à 916
4. Crettiez, X.
(2016). Penser la radicalisation : une sociologie processuelle des variables de
l’engagement violent, Presses de sciences Po, Vol. 66, pages 709 à 727.
5. Rich, D. «
Qui sont les groupes armés qui terrorisent Haïti ? » AFP, article mis en ligne
le 08 juillet 2021
6. ONU. Rapport
conjoint du Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies et du
Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti, sur le massacre de Lasaline, 2019 et
sur le Massacre de Bel air, 2020.
7. Ponge, M. «
Haïti a basculé dans un terrorisme intérieur » RFI-Journal Amériques Haïti, 3
novembre 2021.
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